Entretien. Grâce Zaadi, demi-centre de l’équipe de France de handball : “Aujourd’hui je joue devant des milliers de personnes, j’ai des palmarès, j’ai l’honneur de pouvoir représenter la France, mais je n’oublie pas que je reste une personne comme les autres”

Elle fait partie des athlètes qui ont hissé la France au sommet des Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Grâce Zaadi a accompli l’exploit avec ses coéquipières cet été : parer d’une médaille d’or olympique le handball féminin français pour la première fois de son histoire. Un nouveau titre qui s’ajoute à son palmarès déjà bien rempli, elle qui a déjà été championne du monde en 2017 et d’Europe en 2018. De tous ses succès, la demi-centre n’en tire pourtant aucune gloire personnelle et préfère célébrer la victoire collective, récompense d’un travail d’équipe acharné.

Narindra Randrianarison
10 min readOct 21, 2021
Photo by artem gusev

Battante, compétitrice dans l’âme, travailleuse, sa carrière repose sur des piliers solides dont la foi et son entourage jouent un rôle prépondérant. Aujourd’hui en Russie où elle évolue dans le club Rostov Don depuis l’été 2020, la jeune sportive de 27 ans s’est confiée au Figures Project sur sa carrière, son chemin de foi, et le message d’espoir qu’elle souhaite transmettre aux jeunes qui ambitionnent de poursuivre une carrière dans le sport.

Tout d’abord, félicitations pour cette médaille d’or olympique, c’est un grand moment ! Comment as-tu vécu cette victoire ?

Je suis fière d’être rentrée en France avec cette médaille d’or, d’avoir pu représenter la France dans la plus belle compétition sportive qu’il puisse exister et également d’avoir fait ça avec les filles, l’équipe, car le chemin n’a pas été facile. D’un autre côté, j’ai encore du mal à réaliser la signification de cette victoire car j’ai déjà été championne du Monde et d’Europe il y a peu. Je ne sais pas si c’est l’absence du public qui a rendu l’évènement particulier, mais j’ai l’impression d’avoir moins pris conscience de la performance que nous avons accompli. On a décroché une très belle médaille et réalisé quelque chose d’extraordinaire, mais pour moi ce sont vraiment les retours, les proches, tout ceux qui ont été là pour nous supporter, qui m’ont fait réaliser que ça n’était pas une finale comme les autres.

Tu as aussi été élue, de surcroît, meilleure demi-centre de la compétition, quelle fierté en tires-tu ?

C’est forcément un plus mais je ne me nourris pas forcément de ces titres individuels même si c’est génial de l’avoir été. S’il ne m’avait pas été décerné, le titre collectif de championne olympique m’aurait amplement suffi !

Peux-tu nous raconter ton histoire ? Comment en es-tu arrivée au handball professionnel ? Qu’est-ce qui t’as inspiré dans ce sport ?

Le déclic pour le handball professionnel s’est fait tardivement. Je suis arrivée par pur hasard au hand, c’était le seul sport féminin collectif de ma commune, et je souhaitais pratiquer un sport avec mes copines. On s’est donc inscrites au handball. C’était un sport d’équipe et c’est cela qui m’a plu : je pouvais jouer, gagner, m’embrouiller avec mes copines sur le terrain, c’était super cool ! Et il s’est finalement avéré que nous étions plutôt bonnes dans ce sport. Le niveau est alors monté. Avec les sélections départementales tout d’abord, où j’ai pu jouer avec le comité 93, puis les sélections régionales où j’ai représenté l’Ile-de-France. Ensuite, c’est monté encore d’un cran avec le niveau national où des stages étaient organisés avec les meilleures de notre tranche d’âge dont j’ai fait partie.

Photo by Wenflou

Et finalement on m’a dit : “ Les prochaines étapes se sont les équipes de France jeunes, il faudrait que tu entres dans un sport étude”. Au départ je n’en avais pas envie, surtout que j’avais commencé pour être avec mes copines, et là, il n’en restait qu’une… J’ai tout de même fini par postuler et le deal pour que j’y accède était de continuer à travailler à l’école, car j’avais de bons résultats. Mon père m’a dit : « Si au premier trimestre ta moyenne chute, tu rentres à la maison ». Je passais, à ce moment, de la troisième à la seconde. J’ai donc intégré le pôle de Chartres, reconnu pour ses qualités au niveau du suivi scolaire et son encadrement, même si la structure était plus loin de chez moi.

Finalement, j’y ai fait deux ans car le pôle a été délocalisé à Orléans et ça n’était plus le même lycée et le même environnement. Par la suite, j’ai eu l’opportunité d’intégrer le centre de formation de Metz. A cette époque, j’avais plusieurs choix qui s’offraient à moi, des équipes de seconde division m’appelaient déjà mais je voulais rester dans un endroit avec un encadrement structuré. J’y ai passé mon bac et j’ai gravi les échelons à Metz, puis j’ai intégré l’école de kinésithérapie.

A 20 ans, en 2013, l’équipe de France m’appelle ! Je fais le choix de les rejoindre, mais cela a aussi eu des conséquences, car j’ai dû m’adapter avec le rythme de mon école qui était à Nancy, j’ai dû rater beaucoup de cours. C’est à ce moment-là que j’ai fait le choix de faire une pause dans mes études et de me donner une chance au handball. Je n’avais jamais imaginé faire carrière dans le sport. Au début, ça n’était pas facile car j’ai mis du temps à m’adapter à cette vie professionnelle mais après mon premier contrat, l’équipe de France, le capitannat à Metz, je m’y suis fait rapidement.

Tu es croyante, de confession chrétienne. Quelle place occupe ta foi dans ta carrière d’handballeuse ? Comment cela se manifeste au quotidien ?

J’ai toujours été croyante, je viens d’une famille où les gens sont croyants et pratiquants. Ma mère nous a appris à prier, à remercier Dieu. On a toujours eu notre petite Bible avec nous quand nous étions petits. En fait, ce processus de foi s’est fait de manière très naturelle chez moi. Quand j’ai commencé ma carrière professionnelle, je n’étais pas pratiquante. Je lisais ma Bible de temps en temps, j’avais un petit papier à lire dans celle-ci que ma grand-mère m’avait écrit : quand tu voyages, quand tu doutes etc. Plus je grandissais, plus j’avais envie de donner ma vie à Jésus mais je ne me sentais pas prête parce que je ne me sentais pas parfaite. Et c’est avec le temps que j’ai compris que nul n’était parfait. Parallèlement, je me suis entourée de plus en plus de personnes croyantes, chrétiennes, certes, mais aussi musulmanes, deux de mes meilleurs amis le sont.

Je me suis convertie il y a 2 ans, et aujourd’hui, je ne saurais décrire la place que la foi prend dans ma vie car cela fait partie de moi. Je le dis souvent, mais je ne me souviens plus dans quel état d’esprit j’étais avant, quelle était ma vie sans Jésus. Ce changement a aussi eu un impact sur ma carrière et aujourd’hui je suis contente d’avoir trouvé un équilibre entre ma foi et le handball. J’avais un peu peur, maintenant que je suis à l’étranger, de ne plus pouvoir aller à l’église, couplé au fait que le dimanche je peux être amenée à m’entraîner ou à avoir des matchs, mais désormais je peux assister au culte en ligne. C’est quelque chose que j’accepte, même si être à l’église, communier avec les autres, est aussi important. Aujourd’hui je ne peux pas le faire mais je fais avec.

La foi se répercute aussi dans ma vie de femme et de sportive et les gens me le disent : je suis beaucoup plus apaisée et sereine. Je n’ai plus les mêmes réactions, je prône beaucoup la paix, le pardon, même si dans le feu de l’action, dans le match, il peut m’arriver d’être agacée, ce qui est normal. Et puis, quand il y a des choses qui se passent moins bien je vais me recueillir dans la prière. C’est aussi un refuge pour moi de prier, de me confesser. J’essaye aussi de pouvoir toucher et impacter les autres comme mon cercle d’amis. Je leur explique simplement ce que Dieu fait dans ma vie, le changement qu’il opère en moi. Et j’ai l’impression qu’au final, en tant que sportive, ce qui peut le plus toucher et impacter, c’est vraiment mon comportement et mon attitude. Quand je suis rentrée des Jeux Olympiques, un ami à moi que je connais depuis longtemps m’a félicité pour la compétition. Il me suit et sait que je suis croyante. Il m’a envoyé un message où il m’a dit qu’il était content pour moi car il avait vu le changement en moi, qu’il avait aussi envie de vivre. Et quand je reçois ce genre de message je suis heureuse car je vois que j’arrive à toucher des gens, des cœurs, et à attiser la curiosité sur ce qui m’anime.

Tu as été appelée en Équipe de France tôt, en 2013, quand tu avais 20 ans. Tu as aussi remporté de grands titres : championne d’Europe, du monde et maintenant olympique, mais également beaucoup d’autres en clubs. Comment gères-tu ce succès ? Quel est ton secret pour rester humble ?

Je pense que mon entourage, ma famille, les amis qui m’entourent, font que je suis humble et que j’ai la tête sur les épaules. Et puis, j’ai aussi réalisé que le handball était juste un sport au final. Je tape juste dans un ballon et cela ne fait pas de moi une meilleure personne que les autres.

Photo instagram @gracezaadi

C’est cet état d’esprit-là qui a toujours régné en moi et qui m’encourage à rester humble. J’ai aussi une image que je reflète sur les réseaux sociaux. Je ne parle pas trop de moi, de ma vie privée, mais certaines vidéos et photos que je peux poster montrent que je suis comme tout le monde :même si je suis une sportive professionnelle, il m’arrive de manger des frites et des burgers ! Cette humilité est aussi très liée à ma foi : Comment je peux être chrétienne et ne pas être humble ? Comment avec ce que Jésus a fait pour nous, je peux aujourd’hui me sentir supérieure aux autres ? Et sur cette terre nous sommes tous égaux, dans ma vie d’après il n y’aura plus les titres, les coupes etc… Aujourd’hui je joue devant des milliers de personnes, j’ai des palmarès, j’ai l’honneur de pouvoir représenter la France mais je n’oublie pas que je reste une personne comme les autres.

Quel message souhaites-tu faire passer à ces jeunes qui rêvent de poursuivre une carrière dans le sport, de devenir handballeuse ou handballeur professionnel ?

Le message que je veux faire passer est peut-être un peu commun mais il est simple : le travail. Pour moi, on n’a rien sans rien. Travailler est très important, tout comme avoir confiance en soi. C’est peut-être aussi facile à dire mais je sais qu’il y a beaucoup de personnes qui ont du mal à avoir confiance en elles parce que je l’ai vu de mes propres yeux, des entraîneurs, des personnes encadrantes dire : « Tu ne peux pas faire ci ou ça ». Ce que j’aimerais dire, c’est de ne jamais laisser personne décider à votre place.

Photo by @rostovhandball

Quand tu es jeune il est très facile d’être mis dans une case, par exemple : “Tu n’es pas assez grande pour jouer au hand” etc. C’est faux ! Je pense que grandir avec un bon entourage est aussi primordial, même si je suis consciente qu’on ne le choisit pas forcément. J’aimerais aussi ajouter qu’il est indispensable de se dire que c’est accessible, possible et faisable. Ce sont des conseils simples mais fondamentaux car je n’ai jamais grandi avec le rêve de devenir handballeuse professionnelle et de jouer en équipe de France, mais c’est ce qui m’a fait réussir. Et je sais qu’aujourd’hui il y a beaucoup de petites filles qui en rêvent et c’est ce message que je souhaite leur transmettre.

As-tu un verset préféré dans la Bible ?

C’est fou, mais non ! Il y a beaucoup de gens qui ont des versets préférés mais pas moi. Dans ma biographie Instagram, quand je suis rentrée des JO, j’ai rajouté ma petite médaille “Olympic Champion” en dessous du “God’s Child” que j’avais déjà. Et c’est vrai qu’à un moment donné je me suis dit, Grâce, c’est quoi ton verset ? Mais je n’en ai pas car il y en a trop que je pourrais citer, c’est trop difficile d’en avoir seulement un ! Ce n’est pas une obligation, mais il faudrait qu’un jour je me pose et que je fasse un top 5.

Photo by Top Chrétien “Pass le mot”

Par ailleurs, j’ai toujours l’application biblique “Youversion” sur mon téléphone qui me permet d’avoir accès à des versions différentes quand j’étudie la Bible ou quand j’ai quelque chose sur le cœur. J’aime aussi envoyer le SMS “Pass le mot” du site “Top chrétien” à des amis, même s’ils ne sont pas forcément croyants, pour les encourager dans des situations difficiles qu’ils traversent ou tout simplement pour toucher leur cœur.

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Narindra Randrianarison

Ce projet écrit l’histoire de femmes et d’hommes qui par par leur foi, leur combat, et leur engagement changent le monde. Instagram : figuresproject_